Il y a des séances parfois, qui ne payent pas de mine, mais qui laissent un goût particulier, et marquent profondément.
Mon amie Solène m'avait demandée de venir la prendre en photo avec sa grand-mère Denise, dans sa petite maison proprette où, à 95 ans, elle vit encore seule et indépendante, entourée de ses souvenirs.
Il faut dire que Denise, c'est quelqu'un. Fan de rugby (elle ne rate pas un match), elle déteste le thé, s'ennuie au loto des anciens, et se nourrit de tuiles aux amandes et d'orangettes. Et puis elle a la franchise de ceux qui ne cherchent plus la validation de personne, mais la coquetterie encore bien intacte. Elle a déjà choisi les vêtements dans lesquels elle sera enterrée, et elle raconte ça au passage, comme on raconte ce qu'on a mangé à midi. Elle n'a pas froid aux yeux, Denise.
Vous l'aurez compris, quand je serai grande, je serai Denise.
Il était important, lors de cette séance, de ne pas se contenter de faire de jolis portraits de Denise et sa pétillante petite fille, mais aussi de capturer l'essence de ce lieu où Solène y avait beaucoup de souvenirs, entre les Noëls en famille et les vacances entre cousins.
On a tous connu ce genre de lieu, ces machines à remonter le temps vers notre enfance, comme si elle nous attendait là, un peu poussiéreuse mais encore vivace dans les sensations. Il fallait retranscrire par l'image une odeur particulière, le toucher d'un papier peint, des éclats de rire, la chaleur ronronnante de cette journée grise de décembre. La photo à elle seule peut avoir le pouvoir de raviver tout cela, allant chercher au fond de la mémoire les sensations, comme des braises sur lesquelles il suffit de souffler pour en raviver l'éclat.
Cette séance douce et tranquille, d'une apparente simplicité (une discussion autour d'un thé, quelques parties de rummikub, et des fous rires autour des albums photos), ne ravivera peut-être pas exactement les souvenirs que seuls Solène et Denise partagent, cette mémoire intime et propre à chacune. Mais elle ravivera peut-être chez vous d'autres souvenirs, une mémoire plus universelle : le souvenir de la peau frippée de votre grand-mère, de vos petites habitudes avec elle, des objets que vous aimiez à regarder et toucher quand vous alliez chez elle, la saveur des petits plats que vous ne mangiez que chez elle... Et puis, de fil en aiguille, vous entendrez peut-être sa voix, sentirez à nouveau son odeur (les miennes avaient, l'une celle de la naphtaline et du linge propre, l'autre celle du feu de bois)
On pense toujours à immortaliser l'enfance : les premières fois, les débuts, la fraîcheur de ce qui nous succède. Dans une séance comme celle-ci, c'est sa propre enfance que l'on immortalise, au travers de ceux qui nous précèdent.
J'espère que ces quelques photos vous plairont autant que j'ai eu de plaisir à les prendre...